Ma naissance demeure un mystère à mes yeux. Je suis née dans une petite ville du Montana nommée Aspen Creek, d'une mère célibataire et de père inconnu. Du moins, c'est ce que j'ai longtemps cru. Je ne me souviens pas de cet endroit, l'ayant quitté moins de deux mois après ma naissance. Mes souvenirs les plus anciens durant cette période de ma vie sont liés à des hôtels miteux où nous logions toutes les deux, restant peu de temps au même endroit. Très jeune, je me suis sentie différente des autres et nos nombreux déplacements ne me permirent pas de me lier avec quiconque. C'est sans doute ce qui explique ma nature réservée et solitaire aujourd'hui. Pour autant, j'ai eu une enfance heureuse comparé à beaucoup auprès d'une mère qui veillait en permanence sur moi. La seule chose à laquelle je n'ai jamais eu droit en fait, c'est à une fête d'anniversaire. Je connais mon année de naissance mais rien de plus. Selon ma mère, il s'agissait d'une question de sécurité. Trop jeune pour comprendre, je me suis contentée de sa réponse durant longtemps. L'année de mes huit ans, un homme, John, fit irruption dans ma vie. Rapidement, il fut de nos nombreux voyages. Quelques semaines après son arrivée, je découvrais une caisse contenant des armes ainsi que des munitions. À mes questions, John me répondit qu'il était chasseur et proposa de m'apprendre à tirer. Malgré les réticences de ma mère, il commença donc mon éducation. De temps en temps, il disparaissait pour ne revenir que plusieurs jours plus tard, parfois blessé, parfois non, mais toujours en vie et le plus souvent, satisfait de sa chasse. Le plus étrange demeurait dans le fait que je n'ai jamais vu de gibier dans son pick-up.

Si mon enfance s’est passée sans heurts, il n’en a pas été de même pour mon adolescence. Déménager en permanence impliquait un manque de stabilité qui s’est rapidement traduit par une attitude de rébellion permanente de ma part, que ce soit envers ma mère ou envers John. C’est aussi l’époque où j’ai commencé à m’intéresser à mes racines, interrogeant sans cesse ma mère pour savoir qui était mon père. Jamais il ne m’a été possible d’obtenir la moindre information de sa part. J’ai commencé à fuguer à l’âge de douze ans. Toutes les fois où je suis partie, c’est John qui m’a retrouvée. Les conflits devenaient de plus en plus fréquents jusqu’à cette fameuse nuit et ma découverte. Ils me pensaient en train de dormir et ne se sont pas rendus compte que je les écoutais. Je n’en croyais pas mes oreilles.

Le trajet dura presque deux heures que je passais cachée à l’arrière du pick-up. Ma mère avait suivi John dans l’une de ses chasses, et moi aussi même s’ils n’en savaient rien. Je voulais savoir, comprendre, me rendre compte par moi-même. Je me glissais hors du véhicule dès qu’il fut à l’arrêt pour ne pas me faire surprendre. Que John soit armé, j’en avais l’habitude mais ma mère, voilà qui était nouveau. J’écoutais John lui expliquer que c’était pour sa sécurité et la mienne. La chose attaqua avant qu’il n’ait le temps de lui expliquer le fonctionnement de son arme. Je restais tétanisée par ce que je voyais. Cela ressemblait à un loup. En fait non, c’était un loup. Sous mon regard horrifié, je vis l’animal tuer ma mère avant que John ne l’abatte. C’est à ce moment-là que mes hurlements se firent entendre. Réalisant ma présence, John me ramena au véhicule, m’interdisant d’en descendre. Je voyais le corps sans vie de ma mère.

Les jours qui suivirent cet événement, je restais muette, sans bouger, refusant de m’alimenter. Ma douleur était telle que je voulais mourir. C’est le moment que John choisit pour me révéler le secret de ma naissance. Durant de longues heures, il m’expliqua encore et encore LA raison qui avait poussé ma mère sur les routes. Accepter la chose ne fut pas chose facile pour moi. À peine 14 ans, orpheline, et cet homme m’annonçait une vérité qui n’avait pas lieu d’exister. Cette nuit-là, il passa à mon cou un collier qui ne m’a pas quitté depuis. Il représente un loup hurlant à la lune. Selon ses dires, il me protégerait en cas de besoin. Je n’y croyais pas mais ne fis aucun commentaire. Une nouvelle vie commençait pour moi.

De nouveau sur les routes, il fut décidé que je prenne des cours par correspondance afin de ne pas entraver la mission de John. En plus des matières dites classiques, celui qui devint mon père adoptif m’enseignait tout ce qui je devais savoir pour devenir un bon chasseur. Ma rage faisait que j’apprenais rapidement les rudiments de mon futur métier. Je ne me posais pas de question, acceptant comme vérité tout ce que m’inculquait John, à savoir que les loups étaient des créatures diaboliques cherchant à détruire la race humaine. Cette vie particulière m’éloigna encore un peu plus de toute vie sociale mais je ne m’en plaignais pas. Les choses changèrent l’année de mes seize ans, dans un motel miteux en Arizona. John ayant été blessé, il nous fallait nous poser un peu le temps qu’il récupère. C’est là que je fis la connaissance de Mitch, de deux ans mon aîné. Le courant passa entre nous et je passais bientôt tout mon temps libre en sa compagnie. Ce qui n’était pas au goût de John, provoquant de nouveaux affrontements entre lui et moi.

Seulement voilà, trop jeune, trop peu expérimentée, je n'ai pas vu ce que me cachait Mitch. John le savait lui et c'est pour cela qu'il ne voulait pas que je le vois. Il nous a suivi une nuit, provoquant celui dont j'étais tombée amoureuse, jusqu'à ce que l'inconcevable survienne sous mes yeux. Mitch était un loup. Une nouvelle fois, la mort me sépara d'une personne aimée. Mais cette fois, les choses furent différentes. John n'eut pas le temps de comprendre ce que j'allais faire. Son cadavre finit avec celui de Mitch. La nuit-même, je quittais l'hôtel, roulant durant des jours sans savoir où aller. Je finis par m'arrêter dans une petite bourgade où je posais mes valises pour quelque temps.

Même pas dix-sept ans et livrée à moi-même. Ce qui, finalement, ne me posait pas vraiment de soucis. Mes valises posées, je trouvais un emploi de serveuse, mentant sur mon âge pour ne pas dévoiler le fait que j'étais désormais seule au monde. Je parvenais à louer un minuscule appartement. Habituée aux motels, je n'avais pas besoin de grand-chose de toute façon. Les premières semaines, je fis abstraction de mon passé, me donnant le temps de la réflexion pour savoir ce que j'allais faire mon avenir. Je poursuivais mes études malgré tout. Passionnée de botanique et des livres anciens, j'optais pour une formation d'archiviste, couverture parfaite pour mes déplacements à venir. Je continuais aussi à m'entraîner jusqu'au jour où je me décidais à ouvrir la seule malle de John dont j'ignorais encore le contenu. Ma surprise fut totale. J'y découvrais mon acte de naissance, sans le nom de mon père, ma ville de naissance et un certain nombre de renseignements sur mon passé.

Mon diplôme en poche, je reprenais la route. Mais contrairement à avant, c'est à pied que je me déplaçais. Non seulement, cela me permettait de passer inaperçue mais, de part mon travail, je pouvais aisément justifier ce mode de déplacement. Sac à dos, jean, rangers, ma tenue de base était aussi adapté en cas de combat. Bien qu'ayant pris la décision de ne plus jamais tuer de loup, ce n'est pas pour autant que j'allais leur faire confiance les yeux fermés. L'un d'entre aux a tué ma mère, ce n'est pas une chose facile à oublier.

Voilà maintenant quatre ans que je vis ainsi. Par obligation, j'ai ajouté quelques loups à mon tableau de chasse. L'envie me tenaille depuis quelque temps maintenant et j'ai fini par y céder. Mes pas me mènent désormais vers mon passé en espérant qu'il m'ouvrira un avenir plus serein.

Me voilà de retour à Aspen Creek, là où tout a commencé. Je suis restée plusieurs jours aux frontières de la petite ville sans savoir si je devais, ou pas, m'y hasarder. Qui se souvient de moi ici ? Qui est susceptible de répondre à mes questions ? Je l'ignore mais ce n'est pas ce qui va m'arrêter. Vivre dans l'ignorance a fait de moi ce que je suis. Je ne crains pas les loups, je ne leur veux aucun mal. Mais si jamais j'y suis contrainte, je n'hésiterai pas à me servir de ce que m'a appris ce chasseur. Officiellement, je suis venue passer quelques mois dans la région pour un travail de recensement de la végétation.

Je suis née de l’union d’un loup et d’une humaine. J’ai appris à traquer et à tuer les loups. Et bien que je ne le fasse que par obligation, je connais la haine portée à ceux qui semblent vouloir éradiquer une race qui ne devrait pas exister.